Claude Mariétan : “Joue! Le reste ne compte pas”

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Claude Mariétan s’est fait virer par Constantin et a côtoyé Drogba en sélection ivoirienne. Apôtre d’un football «éducatif et social», il est aujourd’hui directeur technique du Lancy FC, le plus grand club de Suisse. Notre confrère Simon Meier du site Bloody Monday l’a rencontré.

 

Qu’est-ce que ça vous fait d’être directeur sportif du plus grand club de Suisse?
Claude Mariétan: Le plus grand club de Suisse, c’est Bâle. Mais c’est vrai que nous, on est nombreux. Il y a en tout une quarantaine d’équipes, plus les juniors F et l’école de foot. Depuis la fusion, il doit y avoir autour de 800, 900 joueurs. Ça veut dire une grosse responsabilité, un travail énorme de mise en place de la nouvelle structure, avec un fonctionnement très lourd en termes logistiques et humains. En fait, il n’y a rien de particulier, sinon qu’on est en train de créer quelque chose. Tout ce qu’on entreprend, c’est en terrain connu – on sait comment un club doit fonctionner. Sur le plan technique, on fixe des objectifs qui peuvent être prédestinés à tous, y compris l’école de foot.

Claude Mariétan à l’époque sélectionneur de la Côte d’Ivoire.

C’est quoi les objectifs?
C’est de préserver absolument un football éducatif et social, tout en gardant un petit plus avec les catégories C, B et A inter. Sur Genève, l’élite est réservée à Servette, Carouge ou Meyrin. Ce n’est pas notre premier créneau, même si nous avons monté, sur proposition de l’ASF et de l’ACGF, une équipe de M13. C’est Alfredo Mosca, lui aussi engagé par le club, qui l’entraîne. La continuité voudrait que nous ayons des M14, M15 et M16… Ça va peut-être venir, mais ça n’est pas un objectif en soi.

Entre les jaune et noir de Lancy-Sport et les bleu et blanc du Grand-Lancy, ça a longtemps été la brouille des clochers. Comment la fusion a-t-elle pu s’opérer?
A l’époque où j’étais responsable technique du canton, il y a une dizaine d’années, la fusion, qui semblait acquise, avait capoté au dernier moment. Il y a les querelles de clocher, c’est clair. Mais ça peut aussi être un problème d’équilibre financier. Si l’un des deux clubs a un trop gros déficit, c’est aussi à l’autre de l’éponger. Cette année, on part sur un budget de 1,3 million de francs.

La fusion entre Grand-Lancy et Lancy-Sports a donné naissance au Lancy FC. En image, Ferati, milieu de terrain de la première équipe.

On imagine donc que la motivation première de vos entraîneurs n’est pas l’argent…
Non, j’ai dû chercher des gens qui n’avaient pas l’argent comme motivation essentielle, mais le projet. Ceux qui sont en poste ont dû faire preuve de beaucoup d’abnégation, de générosité. En tout, une soixantaine de personnes sont impliquées. C’est considérable, parce que ça fait soixante cas particuliers. Les clés, les dossards, les ballons, les passeports… Tout passe directement par Alfredo ou moi. Pour revenir à l’esprit de clochers, je pense que là, les gens, les deux comités, ont compris que tout le monde avait à y gagner. Maintenant, il faut encore un peu de temps pour changer les habitudes, transmettre ça aux anciens qui sont rattachés à leur club, leurs couleurs. Si on travaille bien tous ensemble, dans deux, trois ou cinq ans, il serait logique que des jeunes arrivent dans les premières équipes. Qu’ils suffisent à repourvoir au contingent en 3ème, 2ème ou 1ère ligue.

Vous qui avez dirigé Didier Drogba en sélection ivoirienne, vous qui avez accompagné Uli Stielike sur le banc du FC Sion, le football d’élite ne vous manque-t-il pas?
Non, ça ne me manque pas. C’est un autre monde, complètement différent. J’ai toujours été attiré par la formation et ce qui m’intéressait, c’était mon projet. Ça fait un moment que je le défends, que je l’ai dans ma poche. J’étais à Servette pour le mettre en place en 1985, 86. J’ai pu le réaliser ensuite à Xamax, avant de basculer avec les équipes de Suisse juniors, puis à l’ACGF. Développer mon projet, ça a toujours été ça. Je pense qu’il est réalisable partout, il n’y a qu’à l’adapter aux moyens. A l’époque, Majid Pishyar voulait absolument m’engager au Servette.

Qu’est-ce qui a bien pu vous retenir?
Je voulais des garanties, et je n’en avais aucune. Il voulait que je sois à la fois directeur de la formation et son conseiller direct. Moi je voulais un contrat, un cahier des charges. On s’est vus plusieurs fois, mais ça ne se faisait pas. A un moment, j’ai dit stop. Le foot, ce n’est pas qu’une histoire d’argent et de contrats. C’est aussi une question de relations, de confiance. Là, j’ai senti que quelque chose ne jouait pas. Je suis un intuitif et, dans l’ensemble, je ne me suis pas trop planté dans mes choix.

Quand on a été sous les ordre de Christian Constantin, qu’est-ce que ça fait d’être présidé par une femme, en l’occurrence Nabila Mezzanotte?
Ce n’est pas tout à fait comparable, encore qu’ils soient assez élégants tous les deux. Nabila a un côté humain intéressant, c’est quelqu’un de très proche de son club. Elle sait très bien diriger – non pas que Constantin n’en soit pas capable, au contraire… Mais là, l’amateurisme fait qu’elle a des relations très chaleureuses avec tout le monde. Elle connaît les gamins, les parents, les entraîneurs. Elle est très attentive à l’aspect convivialité. Et avec son comité, elle dirige. C’est une femme de pouvoir. C’est la première fois que je travaille avec une dame à la tête d’un club, mais je trouve qu’elle est très compétente. Rien ne lui échappe, elle contrôle tout.

Mais alors, elle est exactement comme Constantin…
Il y a des points communs. Elle est omniprésente. S’il y a le moindre problème, quel qu’il soit, elle veut le savoir.

La présidente lancéenne, Nabila Mezzanotte, aux côtés de Michel Pont

Tout le monde s’accorde à dire que Genève constitue un formidable vivier de jeunes footballeurs. Or, sur les vingt dernières années, rares sont ceux qui ont percé au plus haut niveau. Y a-t-il un sentiment de gâchis?
Un peu. Mais maintenant, avec les modalités de collaboration mises en place par l’ASF via l’ACGF, les clubs labellisés sont obligés de collaborer avec les autres. Il faut arrêter de se chaparder les gamins, faire en sorte que les meilleurs d’entre eux se retrouvent dans la catégorie de jeu optimale pour leur progression. A Lancy, notre but est d’amener les jeunes en équipe première. Servette devrait avoir le même objectif. La qualité est là, la quantité aussi. Dans les catégories M16 ou M18, Genève a parfois les meilleures sélections du pays.

C’est donc à l’étage suivant que ça coince…
Il y a peut-être une réflexion à faire sur la qualité du travail effectué dans la formation, pour les amener au niveau de la Super League et de ses exigences. Il y a un fossé à combler. Au lieu de cela, ça fait des années que Servette alimente les clubs de 1ère ligue avec ceux qui n’ont pas percé plus haut. Est-ce que ce sont les mentalités ici? Les gamins qui ne sont pas prêts à faire les efforts pour réussir au foot? Ou alors le contenu de la formation qui n’est pas assez exigeant, pointu?

Si c’est le troisième point qui cloche, on a l’un des principaux responsables en face de nous…
Oui. Mais il y a d’autres aspects… Je me souviens du point de vue de Marc Schnyder, quand il était directeur sportif à Servette – ça n’a pas duré longtemps – et moi responsable de la formation. Je lui disais: «C’est incroyable qu’on n’arrive pas à former un milieu défensif ou des latéraux”. Il y avait plein de jeunes à la limite de la première équipe, qui avaient besoin d’être consolidés, de trouver des arrangements par rapport à leur formation. Je disais à Marc qu’il fallait un projet. Il fallait travailler plus sur les besoins spécifiques des gars, en choisir quatre ou cinq de 16, 17 ans et leur dire où on voulait les amener. Former plutôt que d’acheter ailleurs des joueurs tout sauf exceptionnels. A mes yeux, à terme, un Gilbert Epars devait remplacer un Marco Schällibaum. Il y en avait plein d’autres comme ça.

Et Epars n’a jamais franchement percé avec Servette…
Il y a passé une saison et demie, en jouant trois fois rien. Il était tout sauf parfait mais ça allait venir. Il faut du temps. Mais bon, il y avait un président avec des moyens, qui voulait jouer la Coupe d’Europe chaque année. Il faut de la patience, de l’humilité.

Avec Sébastien Fournier aux commandes, en admettant que Dieu lui prête vie à ce poste, ça pourrait donner quelque chose?
Lui, c’est quelqu’un d’exigeant. Il est lié à la formation pour y avoir travaillé beaucoup. Il connaît tous les rouages d’un club – vice-président, concierge, entraîneur, responsable de la formation… Piquet a tout fait là-bas. Mais après son expérience à Sion, il revient et il voit la réalité en face: Servette, aujourd’hui, ce n’est pas un contingent de Super League. Il y a beaucoup de joueurs, mais peu de qualité. Si on prend les gamins du bassin, je pense qu’il n’y a pas besoin d’aller bien loin pour trouver l’équivalent de ce qu’il y a en place. J’imagine que Fournier est sensible à ça. Mais il faut lui laisser du temps. Si le gars est chahuté après trois matches… Le propos de chaque entraîneur, c’est de rester en place. Et Servette doit s’inspirer de clubs aux moyens limités et qui bossent bien. Il y en a plein autour de nous. J’ai toujours le souvenir d’Auxerre, à l’époque où Guy Roux sortait les Cantona et Boli… Mais bon, ils avaient des infrastructures, des appuis politiques, un type à la barre qui dirigeait tout de bout en bout, et puis des gens qui bossaient tous comme des morts de faim. Chez nous, quand il y a du mécénat, on veut un retour rapide. On investit à perte, souvent dans l’urgence.

Revenons à Lancy. Ici, au stade de Florimont, tous les terrains sont synthétiques. Est-ce un souci à vos yeux, tous ces jeunes qui ne voient plus la couleur de l’herbe?
Pour moi, oui. Chez les plus petits, au niveau de la formation, c’est idéal, notamment pour l’apprentissage des gestes techniques. Comme les enfants sont légers, il n’y a pas de problème au niveau physiologique. A 15, 16 ans et plus, ça peut devenir un souci pour plus tard. C’est quand même plus dur que l’herbe. Après, quoi qu’on en dise, le ballon n’a pas les mêmes effets sur herbe que sur synthétique. Mais il y a la question de l’entretien: c’est beaucoup plus économique. Mais j’aimerais bien voir à long terme ce qu’il y aura comme séquelles sur les articulations – genoux, hanches… On verra comment sont ceux qui auront fait quinze ans de synthétique.

Ce discours n’est pas très rassurant…
Oui. Heureusement, ils ne s’entraînent pas trois fois par jour, et ils affrontent des équipes qui ont des terrains en herbe. Sur synthétique, tous les rebonds, toutes les passes, tous les appuis sont différents. J’ai parfois l’impression que ce n’est pas le même sport. On a beau raconter ce qu’on veut, je suis convaincu de ça.

Avez-vous quelque chose à ajouter à cet entretien?
Ce qui est bonnard, c’est que les gens commencent à comprendre comment on veut s’orienter. On a des gens très peu rémunérés, qui donnent leur temps, leur passion, alors qu’ils bossent à côté. Moi, je suis tout le temps dans le foot, mais c’est ma manière de vivre, mon métier, je suis payé pour ça. Je dois faire attention à ne pas être trop exigeant avec les autres. Quand un gars ne peut pas venir parce qu’il a un souci au boulot, je dois colmater. Je ne peux pas reprocher à quelqu’un de ne pas être parfait, je dois l’aider à s’améliorer. Je ne peux pas juger, attaquer… Je dois lui demander ce qu’il peut faire de mieux et l’aider à y arriver. La démarche est très différente. Si un pro ne bosse pas correctement, tu peux lui dire: «Ecoute, ça ne va pas. Je te le dis une fois et si tu ne corriges pas, c’est dehors!»

Dans le monde amateur aussi, il y a des «licenciements», non?
J’ai dû me séparer de quelques-uns des entraîneurs parce qu’à mes yeux, ils avaient un comportement dangereux pour les gamins. Dans le sens où ils manipulent, ils sont démagos, pas cohérents. Pour moi, ça ne va pas. Ce sont trois éléments de base dans l’éducation, incontournables. Si tu es correct avec les gamins, honnête et droit, ils vont te le rendre. Ne pas être parfait comme technicien, ce n’est pas grave. Mais il est indispensable d’amener les enfants à devenir des personnes responsables. Certains ne comprennent pas: ils veulent gagner, gagner, et gagner à tout prix. Il faut les freiner, leur expliquer que la «championite» n’est pas une fin en soi. Joue! Certains sont obnubilés par ça, ils ne comprennent pas. La seule chose qui compte, c’est que les enfants viennent à l’entraînement, se fassent plaisir, progressent et jouent le mieux possible. Joue! Le reste ne compte pas.

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