« Tout le football genevois est à féliciter ! »

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Tout juste auréolés du titre du champion suisse de la catégorie FE13, nous sommes allés à la rencontre du duo de sélectionneurs qui a mené cette sélection genevoise au titre national qu’elle n’avait plus remporté depuis 6 saisons.

Marco Joffre et Thierry de Choudens, un duo inséparable depuis 14 ans. Jamais avares de remarques taquines l’un pour l’autre, ce « vieux couple » – comme ils en rigolent eux-mêmes – offre surtout sa complicité et ses compétences aux meilleurs joueurs du canton, avec le succès qu’on leur connaît.

Nous sommes allés à leur rencontre et avons tenté de retranscrire une interview pleine d’anecdotes, de bonne humeur et de passion pour leur sport de prédilection, les jeunes joueurs qui le pratiquent et l’évolution de celui-ci au fil des années de leur mandat au sein de la sélection régionale genevoise.

 

Proxifoot : Tout d’abord, bravo pour ce titre obtenu le 21 juin dernier. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette journée ?

Il faut savoir que les résultats comptaient pour une partie du classement mais que les équipes étaient suivies par un panel d’observateurs qui avaient des critères bien précis d’analyses, et dont les évaluations avaient leur poids dans le classement. Les thèmes observés étaient les suivants : Construction du jeu en zone 1 ; Jeu offensif en zone 3 ; Technique ; Qualités individuelles, Candidats Cellule FE-14 ; Résultats.

Il est nécessaire de préciser que, dans le concept FOOTECO, pour de louables raisons philosophiques de formation, le titre de Champion suisse n’est pas décerné en tant que tel par l’ASF. Bien qu’elle ait en effet gagné tous les matches du tournoi des meilleures équipes des sélections régionales de Suisse, et remporté toutes les évaluations, la Sélection de l’ACGF a simplement été désignée comme équipe classée première du tournoi. L’attribution du titre de Champion suisse constitue donc une forme d’entorse au concept Footeco. Nous pouvons néanmoins être heureux de terminer en tête d’un classement comprenant autant de critères. Tout le football genevois est récompensé par cette première place au classement final.

 

Comment se sont passés les matchs de cette phase finale ?

La Sélection de l’ACGF a gagné tous les matches (6-2 Argovie, 1-0 Innerschweiz, 2-0 Bern-Jura 1, 3-2 Bern-Jura 2, 2-0 Soleure). Dont un match lors duquel les joueurs (menés 0-2) ont réussi à inverser le cours du match. Ils sont parvenus à revenir et à l’emporter au prix d’un retournement de situation formidable. Les joueurs ont été très motivés toute la journée et pas du tout stressés malgré le nombre de spectateurs et d’observateurs présents. La qualité du jeu a été régulière et de haut niveau toute au long de la compétition, ce qui nous a permis d’obtenir une telle performance globale.

 

A quoi attribuez-vous les raisons de cette victoire finale ?

Nous pouvons déjà relever que le travail de FOOTECO entrepris au sein du canton depuis 2-3 ans est d’une grande efficacité. Cela permet aux joueurs d’arriver en sélection dans des conditions mieux définies qu’auparavant, avec des degrés techniques bien plus affinés, avec aussi un niveau de jeu plus homogène, ainsi qu’un état d’esprit qui représente une sorte de langage commun. Tout cela fait aussi de gagner du temps. De plus, la valorisation de l’individu et du joueur au sein de ce projet est primordiale pour permettre l’éclosion de nos talents régionaux à cet âge-là.

Cependant, il nous semble que FOOTECO doit encore réfléchir à sa relation avec la compétition, ou du moins avec la performance, afin de préparer au mieux les joueurs à cet aspect inhérent au football. Autrement dit, sans tomber dans la championnite (ce qu’évite remarquablement le concept FOOTECO), comment aborder ce thème-là en tant qu’éducateur, et former aussi des joueurs compétiteurs ?

 

Comment s’organisait la sélection genevoise avant l’arrivée du concept FOOTECO ?

Avant, la collaboration avec les clubs était bien moins prononcée et efficace qu’aujourd’hui. Nous avions toutes sortes de joueurs qui se présentaient à nous, du jeune qui venait de commencer le foot à celui qui le pratiquait et le maîtrisait depuis un certain temps.

 

Quels sont donc les avantages de FOOTECO pour votre travail ?

L’un des objectifs c’est d’avoir une philosophie commune dans tous les clubs du canton, et bien sûr, la relation aux clubs, les détections qui sont faites en amont et l’évolution des joueurs de manière individuelle. Tout cela nous permet de voir des joueurs mieux préparés pour arriver en sélection.

 

Et comment cela se passera-t-il la saison prochaine ?

Nous avons la chance que les activités des équipes FE13 soient réunies les mercredis après-midis et donc que tous les joueurs soient au même endroit au même moment une fois par semaine. Cela représente un réel plus, même si le calendrier annuel reste d’actualité. Mais les émulations et les échanges créés par cette nouvelle organisation nous réjouissent pour s’occuper des joueurs talentueux de l’année 2003 la saison prochaine. Nous avons toujours apprécié collaborer avec toutes les personnes concernées par ce projet.

 

Depuis combien de temps travaillez-vous ensemble ?

Nous nous connaissons depuis un certain nombre d’années, et travaillons ensemble depuis la saison 2000-2001 sur la sélection genevoise. Nous avions alors Johan Djourou qui était surclassé d’une année, il avait déjà un talent exceptionnel.

 

Comment prenez-vous les décisions pour la sélection ?

On essaie de discuter pour que ce que l’on décide représente ce que l’on met en commun. Ce qui n’est pas négociable, c’est le talent. On essaie de mettre des critères en commun. Il peut nous arriver d’avoir des avis divergents, mais c’est là toute la difficulté et la beauté à la fois de ce travail que nous devons réaliser.

 

Comment définiriez-vous le talent ?

TdC : Dans l’évaluation du talent il y a, selon moi, une part formelle et une part informelle. Ce qui est mesurable et ce qui ne l’est pas mais reste de l’ordre de la perception.

MJ : Les choses mesurables sont faciles (statistiques) à prendre en compte et ensuite il y a toute la partie qui est ce qui est visible mais qui ne rentre pas dans une grille statistique. Ce qui n’est pas quantifiable est la marge de progression du joueur. C’est le plus difficile mais le plus intéressant aussi.

TdC : Mais l’intérêt de l’exercice est d’imaginer comment le joueur sera dans quelques années. Maintenant il ne peut pas être performant sur certains points mais il pourra l’être peut-être dans un avenir prochain. Il y a donc une différence entre la performance actuelle et la performance future.

FE-13 ACGF-1er Finales suisses-21.06.2015 (9)

Quelles compétences doit avoir un bon sélectionneur ?

MJ : Déjà, il faut savoir réadapter à chaque fois ses acquis car le football évolue en permanence. D’ailleurs, on peut remercier le football espagnol pour cette modification de la perception du football actuel.

TdC : On doit aussi remercier la Hollande qui a inspiré l’Espagne.

MJ : Oui, mais c’est une équipe qui gagne qui laisse des souvenirs.

TdC : D’accord, cela dit, la référence à Barcelone est pernicieuse ! Les entraîneurs-formateurs, et nous, les sélectionneurs, compris, nous ne devons absolument pas demander aux jeunes joueurs de jouer comme le « Barça », dont la marque de fabrique est un jeu à une ou deux touches de balle. Â l’âge d’or des apprentissages, c’est même exactement l’inverse que les formateurs doivent proposer aux enfants. De 6 à 15 ans, aux âges où les expérimentations sont fondamentales et les résultats insignifiants (sauf pour les joueurs), un enfant doit acquérir toutes les habiletés et toutes les capacités dans le maniement et la maîtrise du ballon, et ainsi perfectionner au maximum son répertoire technique. À ces âges, les passes et les jeux de passes ne sont donc pas prioritaires. Un enfant doit d’abord apprendre les conduites de balle, les dribblings, les contrôles orientés, les enchaînements des gestes, les frappes. Encouragé et approuvé par ses formateurs, il doit pouvoir continuellement oser, essayer, tenter, répéter tous les gestes techniques, sans avoir la crainte de les rater. Dans la préformation, « donne ta balle ! » est une expression à bannir du langage d’un éducateur pour qui la progression technique de chaque joueur est l’unique objectif. C’est le joueur qui a de l’avenir, pas l’équipe. En préformation, les matches servent de champ d’expérimentation des gestes techniques dans le jeu pour chaque joueur. Dès l’âge de 15 ans, graduellement, les passes et les contrôles-passes prendront de l’importance. Les performances et les résultats deviendront de plus en plus déterminants. Mais c’est seulement parce que les jeunes joueurs auront acquis de multiples compétences techniques à l’âge d’or des apprentissages qu’ils pourront, éventuellement, jouer comme le « Barça » à la fin de leur formation.

MJ : Revenons aux qualités du sélectionneur…

TdC : Je pense que nous devons avoir de grandes qualités de collaboration avec tous les acteurs du projet (clubs, entraîneurs, joueurs, parents). Ouverture d’esprit, rôle transversal. Mais il faut, selon moi, dissocier le sélectionneur « victoire » et le sélectionneur « talents ». Et nous sommes totalement dans le côté talent.

MJ : Mais nous devons également pouvoir être exigeants dans la performance afin qu’ils puissent donner le maximum de leur capacités individuelles, sans recherche d’équilibre global de l’équipe, car, répétons-le, ce n’est pas l’équipe qui a un avenir, mais bien chaque joueur.

 

Est-ce que selon vous le talent comprend la performance ?

MJ : Absolument. Le talent comprend la performance individuelle. La compétition doit être avec le joueur, lui-même, pour chaque fois aller plus haut et plus loin. Tu as joué à ce niveau, donc c’est ton niveau minimum à l’avenir et tu dois chaque fois aller plus haut. Et cela représente un critère d’évaluation de joueurs, de leur évolution sur la saison par rapport aux performances et aux exigences de la compétition. Mais il est difficile pour nous de faire vivre une non-convocation pour une phase finale à des joueurs de 12-13 ans. Bien que, dans le même temps, cela les prépare au football d’élite.

TdC : Moi j’ai besoin de beaucoup dire aux joueurs qu’ils seront peut-être sélectionnés mais aussi peut-être pas sélectionnés. Même si cela ne reste que des paroles et n’évite pas la déception de certains. C’est souvent la première fois que ça leur arrive.

 

Et qui sont les plus grands talents que vous avez eu la chance de diriger ?

MJ : Johan Djourou bien entendu était supérieur aux joueurs de son âge, il pouvait faire gagner un match à lui tout seul. Les joueurs nés en 1996 et qui ont aussi été champions suisses étaient très talentueux, certains d’entre eux jouent ou ont joué au meilleur niveau genevois ou suisse (Bytiqi – Carouge, M. Rodriguez – Servette, M. Dominguez – Zürich, Denis Zakaria – YB). Certains ont été très talentueux plus jeunes et n’ont malheureusement pas été plus loin.

TdC : Il faut savoir que, avant FOOTECO, il y avait deux sélections (M-13, M-14) et que nous n’étions en charge que d’une volée sur les deux. Donc, ce qu’on dit n’est pas exhaustif, et ne peut pas être représentatif de tous les joueurs de talents genevois.

MJ : Romain Kursner n’est, par exemple, pas passé par la sélection. Et ça, on le dit toujours aux joueurs. C’est un arrêt sur image d’un moment. Le fait d’être en sélection n’assure rien pour plus tard, et inversement. On n’arrête pas de le répéter. C’est fondamental, et heureusement que c’est ainsi.

TdC : En général, je pense que le rapport entre le talent, le potentiel et l’épanouissement est assez cohérent, et se vérifie dans la plupart des cas.

 

Quel regard en tant que sélectionneur et ancien membre du football d’élite, portez-vous sur le football genevois actuel et sa gestion des talents ? Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de talents locaux qui sortent de chez nous ?

MJ : « Nous avons du pétrole mais pas de raffinerie », pour donner une bonne image. L’instabilité du Servette pèse sur les jeunes talents de la région qui doivent souvent partir pour trouver les conditions propices à leur évolution.

TdC : On manque de projets individuels réels, de plans de carrière proposés aux joueurs pour les promouvoir et les motiver. Avec le risque inhérent que comporte un tel projet. Comme Bâle le fait. Les talents existent, Genève n’a jamais eu autant de représentants au sein des sélections suisses juniors.

MJ : On doit continuer à travailler comme on le fait, ce chiffre le confirme. Cette année, Servette est ressorti comme le club le mieux représenté mais c’est tout le football genevois dans son ensemble qui est à saluer.

 

Pourquoi le football genevois n’est-il pas plus représenté au niveau supérieur ?

MJ : Le monde économique genevois (Grand Genève) est une région qui ne veut pas investir dans le football. Donc les clubs sont soumis aux aléas des investissements (financiers, temps, énergies) de leurs dirigeants.

TdC : Sincèrement, des talents quand tu arrives au bout de la pyramide, tu n’en as pas vingt par année.

MJ : Il y a trois talents par année maximum. Il y a 18 joueurs qui sortent par année mais peu seulement peuvent vraiment espérer aller plus haut.

TdC : Il y a un souci de formatage en arrivant dans les structures élites qui demandent une uniformisation de la gestion des joueurs. Et donc une perte de leur authenticité ou de leur originalité.

 

Y a-t-il un mal mental « genevois » ?

TdC : C’est le syndrome genevois, le « genevois style ». Effectivement, ce n’est pas dans l’aspect mental que les Genevois sont les meilleurs. Je ne sais pas ce qui explique qu’à Genève on a ce déficit. Mais on fait régulièrement ce constat. Cette année on ne l’a pas senti en phase finale. Le groupe de 2002 de cette année était l’un des plus homogènes de manière générale. Il n’y avait plus de joueurs de clubs réunis, mais une véritable équipe de sélection, ce qui est assez rare. Cela fait la différence sur le plan de l’état d’esprit. Et un bon état d’esprit permet à chaque joueur de mieux s’exprimer.

 

Photos : ACGF

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