Tim Schmoll, de Servette à Harvard

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Formé dans la région (Terre Sainte et Servette), Tim Schmoll continue son parcours dans l’équipe de l’Université d’Harvard. Interview.

Dans le livre sur l’économie du football sous un angle ludique co-écrit par Simon Kuper et Stefan Szymanski intitulé “Les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus”, un chapitre est consacré aux footballeurs blonds, où ils expliquent que les recruteurs retiennent plus facilement un joueur blond parce qu’il a tendance à sortir du lot visuellement parlant. Mais Tim Schmoll n’a pas que sa chevelure blonde pour être remarqué : en mesurant plus de deux mètres (2m01 exactement), on ne peut pas le rater sur et en dehors d’un terrain de foot.

Passé par Terre Sainte et Servette, Tim Schmoll s’est envolé aux Etats-Unis en 2011, un pays où on a toujours cru que le football – ou plutôt soccer – était un sport de filles, mais où les mentalités sont heureusement en train d’évoluer. A l’Université d’Harvard, il allie études en économie et pratique du sport et évolue avec succès dans le championnat universitaire de soccer au système particulier. La saison ayant lieu en automne, il profite chaque année de la longue pause pour tenter des expériences, comme cela a été le cas en 2013 avec un retour à Servette ou comme ce sera le cas l’été prochain avec une saison estivale avec les M23 de l’équipe des New York Red Bulls. Une dernière chance de franchir l’étape du monde professionnel ? Il est bien possible, mais Tim Schmoll n’est pas obsédé par cet objectif, sa priorité restant de terminer ses études.

 

Proxifoot : Salut Tim. Si tu es à Genève en janvier, c’est que la saison du soccer est en trêve, c’est ça ?
Tim Schmoll : Oui, exact. Depuis fin novembre.

Tu as réussi à t’y faire au mot soccer ou tu continues à dire football ?
Ecoute, pour moi ce sera toujours football… mais là-bas le football c’est autre chose. Quand je dis football au lieu de soccer, ils me regardent bizarrement (rires).

Quel est ton parcours à Genève avant de t’envoler pour les USA ?
Je suis né ici à Genève, mon père a grandi ici aussi, ma mère est américaine. J’ai joué à Terre Sainte en juniors, on avait une super belle équipe, on était 7-8 à jouer en sélection vaudoise. Ensuite, j’ai joué au Team Vaud pendant deux ans. A la fin des M15, on m’a proposé d’aller à Servette. Je suis venu voir le stade et j’ai direct voulu jouer. J’avais un pote, Helios Sessolo (ndlr : joueur d’YB, actuellement prêté au Mont-sur-Lausanne), qui était déjà à Servette et qui m’a un peu convaincu. J’ai rejoint les M16, ça s’est hyper bien passé. Ensuite, je suis parti à Terre Sainte en prêt d’une année en 2ème ligue inter et on a été promus en 1ère ligue. Après, je suis revenu à Servette avec les M18, puis je suis parti à l’uni aux USA en 2011.

On a des archives de 2013 où t’es dans la compo des M21 de Servette, comment ça se fait ?
Oui, je suis revenu au printemps 2013. Je ne savais pas exactement ce que je voulais faire et le plus intéressant finalement était de revenir ici pendant la pause du championnat universitaire et je connaissais du monde à Servette. C’était un super groupe avec Londono en 2ème ligue inter. J’ai commencé le 2ème tour avec eux mais je me suis cassé la jambe en avril contre Collex donc je n’ai pas pu finir la saison. Je suis revenu de blessure en juillet, j’ai fait une semaine avec les M21 puis on m’a pris en première, où je me suis entraîné 6 semaines. Puis Fournier m’avait dit que le plus intéressant aurait été d’être prêté 6 mois à Carouge, comme ils le font avec beaucoup de jeunes, et de revenir à Noël pour voir ce que ça donne. Le problème, c’est que signer un contrat m’aurait fait perdre le statut d’amateur et donc je n’aurais pas pu continuer à Harvard. Je ne pouvais pas laisser tomber l’école, ça aurait été risqué si le foot s’était mal passé. Mais ces 6 mois à Servette étaient super, surtout les 6 semaines avec la première. Cela m’a beaucoup aidé pour la suite.

Tu maintiens des contacts avec tes ex-coéquipiers du Servette ?
Oui, bien sûr ! Là, je me suis entraîné une petite semaine à Servette début janvier avec les M21 et j’ai aussi eu des entraînements spécifiques avec William Niederhauser, en vue d’un test d’une semaine que j’avais aux USA la semaine dernière.

Tim-Schmoll - Servette

Avec Servette en 2013, lors du malheureux match contre Collex (Photo: IV Sport)

Pourquoi avoir choisi les USA ?
Mon grand frère est parti à l’uni aux USA mais pas pour le foot. Je ne savais pas exactement ce que je voulais faire après les M18 mais je voulais jouer au foot. Puis on m’a expliqué comment ça marche là-bas, que le foot peut t’aider à rentrer dans une université où tu ne pourrais pas rentrer tout seul. Donc j’ai parlé avec un pote ghanéen qui était aussi au Servette et il m’a expliqué que le système américain mettait en valeur le sport, que c’était vraiment super.

Et Harvard ?
Au début, j’ai regardé 3-4 écoles, je voulais un endroit où le foot était important et où l’université était également bonne. Quand j’ai visité Harvard au printemps de mon année à Terre Sainte, j’ai tout de suite aimé. Ce qui est cool là-bas, c’est qu’ils traitent les étudiants de la même manière, que tu sois sportif ou pas. Alors que dans d’autres universités par exemple, les entraîneurs disent que les joueurs de l’équipe de foot ne devraient jamais être à l’université en temps normal, qu’ils sont là uniquement pour le foot.

Comment sont les installations ?
Sportivement, c’est la grande classe. Ils ont un budget pour le sport assez conséquent à Harvard. On a deux terrains en herbe et un synthétique.

Est-ce que le foot est le sport le plus mis en avant par Harvard ?
Cela change régulièrement à Harvard. Ces dernières années, ils ont eu une grosse équipe de basket, ils ont eu beaucoup de presse et un gros budget. Niveau foot américain, ils ne sont pas dans la meilleure division, mais c’est une équipe qui a beaucoup d’histoire. Je ne dirais pas que le foot est le sport le plus suivi à Harvard, mais le premier match que j’ai joué, il y avait 5000 personnes. Après, il y a de tout, on peut aussi jouer un mardi soir en octobre devant 100 spectateurs.

Comment fonctionne le championnat universitaire ?
C’est par conférences. C’est régional mais tu peux faire 8 heures de bus quand même. Notre conférence s’appelle la “Ivy League” et regroupe 8 universités du nord-est (ndlr : Brown, Columbia, Cornell, Dartmouth, Harvard, Pennsylvanie, Princeton et Yale). Chaque année, tu vas jouer ces équipes une fois. En plus de ces matchs, tu joues un calendrier qui dépend de l’année et ça change souvent. Si tu gagnes ta conférence, tu te qualifies pour les playoffs. Une autre manière de se qualifier pour les playoffs est d’avoir un bon record en tout, d’avoir beaucoup de points, par exemple si t’as battu des bonnes équipes. Au contraire, si t’as joué que contre des mauvaises équipes et que t’as tout gagné, ça ne veut rien dire. En tout, on joue 17-18 matchs dans la saison. Après, on a un tournoi avec 32 équipes à élimination directe.

Et vos résultats étaient bons ?
Cette année était la meilleure depuis 2009 en termes de record. On n’a pas gagné la ligue, on a terminé deuxièmes. Comme il n’y a que 7 matchs, si t’en rates un, c’est foutu. Ensuite, il restait l’espoir de se qualifier pour le playoffs par les records, mais on n’a pas réussi. Il y avait beaucoup de niveau à travers la nation, cette année. Donc les émotions ont été mélangées car malgré une super équipe et une super ambiance, on n’a pas décroché les playoffs. Mais il y a une progression dans le jeu.

Tu sens que le soccer est en progrès, qu’il y a une réelle culture foot qui s’installe ?
Oui, absolument. Il paraît que chez les tout petits, tout le monde joue au foot. Mais c’est plutôt considéré comme un jeu…

Ou un sport de filles, non ?
Cela dépend des régions, mais parfois, oui. Mais la mentalité est en train de changer. Le foot connaît du succès surtout après les Coupes du Monde. Si les USA ont une bonne équipe avec une bonne mentalité, comme c’était le cas lors du dernier Mondial, alors oui c’est positif. Les télévisions sont en train de payer de plus en plus pour les matchs, il y a une chaîne qui passe tous les matchs de Premier League et beaucoup de monde regarde. Dans le top 10 des moments sportifs de la semaine, il y a de plus en plus de foot. Mais comparé au basket et au foot américain, cela n’a rien à voir. Mais ça progresse.

Et dans la formation, comment cela progresse ?
Je ne sais pas trop parce que je n’ai pas fait ma formation là-bas, mais il y de très bonnes équipes. Surtout les équipes des académies des équipes de MLS (ndlr : Major League Soccer, le championnat national de soccer). C’est comme les académies d’ici, elles sont hyper fortes, très techniques. Je pense qu’il y a 10 ans c’était beaucoup plus physique et qu’un petit joueur technique n’avait pas sa chance. Maintenant, ce n’est plus le cas.

Le championnat universitaire peut servir de tremplin pour la MLS ?
Chaque année, ils ont un draft comme en NBA. Tu déclares que tu veux entrer dans le draft, il y a une poule de joueurs et chaque équipe peut en choisir deux. Et la plupart de ces joueurs sortent des championnats universitaires. Ce qui est dur dans le championnat universitaire, c’est que la moitié de l’année, tu ne t’entraînes pas autant que dans les centres de formations européens à cause de la pause du championnat. Cela peut amener une stagnation dans ta progression. Il y a trop d’arrêts, trop de vacances.

Vous faites quoi pendant cette longue pause, justement ?
Il y a beaucoup de règlements concernant le temps que tu peux passer en équipe. Le but d’avoir des saisons qui durent la moitié de l’année, c’est que pendant l’autre moitié t’es censé te concentrer sur les études. Pour moi, ça ne veut rien dire parce qu’il faut aussi se concentrer sur les études pendant la saison de foot. Nous, pendant la pause, on doit s’entraîner en équipe un certain nombre d’heures, c’est le règlement qui le veut. On s’entraîne tous les matins, c’est toujours hyper chargé et c’est plutôt physique. Mercredi et vendredi c’est que du physique, mardi et jeudi c’est entraînement avec ballon et avec l’entraîneur. Après, quand on veut on peut jouer entre nous, sans entraîneur. On fait ça le dimanche soir et le lundi soir aussi. Cela donne des situations où tu t’entraînes sans coach mais tu t’entraînes quand même.

C’est frustrant ce manque de compétition ?
De ne pas avoir de matchs, oui. D’un autre côté, ça donne des entraînements qui sont vraiment bien, de bon niveau, compétitifs. Pendant cette période, la compét’ c’est l’entraînement. Mais on a quand même trois matchs amicaux de préparation. Les autres années, on a eu des matchs de charité organisés par notre ancien entraîneur contre Haïti ou le Cap Vert. C’était super bien parce qu’ils ont une très grosse population à Boston donc on avait beaucoup de spectateurs. Sinon, on essaye toujours d’organiser un match contre une équipe qui était top 5 de l’année précédente. L’année dernière, on a pu jouer contre les New England Revolution, c’était un super test. Sinon, une fois tous les 4 ans, c’est-à-dire une fois par cycle d’études, on a le droit à un voyage à l’étranger. Il y a 4 ans, ils ont fait la Corée du Sud, ils ont joué contre les M20 nationaux et un club chinois. Nous, cet été on va aller en Espagne et en Italie, mais on ne connaît pas encore les matchs amicaux.

Sur le plan individuel, cela se passe comment ? As-tu la confiance du coach ?
Oui, j’ai la confiance. C’est sûr que j’ai un rôle un peu différent par rapport à celui que j’avais en Suisse. Ici, j’étais milieu de terrain jusqu’en M18 et ensuite on m’a dit que si je voulais aller plus haut dans le foot, il fallait jouer défenseur central. Aux Etats-Unis, c’est différent. Ils ont vu que j’étais grand et j’ai joué au milieu de terrain, ce qui ne m’était pas étranger. Mais après on m’a mis un peu plus offensif, en étant central je n’étais pas très habitué. Et cette année, j’ai joué avant centre… donc c’est très varié. Je préfère derrière, mais l’important c’est de jouer. 

Tim Schmoll grenat

Le deuxième maillot d’Harvard est grenat, coïncidence ?

Ta priorité est de devenir pro ou de terminer tes études ?
C’est sûr que je veux finir mes études, c’est la priorité numéro 1. J’ai encore un an et demi, je ne veux pas gaspiller l’opportunité d’avoir un diplôme. Mais moi j’ai envie de jouer au foot jusqu’à ce que j’en puisse plus. Je ne veux pas non plus faire le tour de monde pour faire des essais pour trouver un club et changer tous les mois. Il va falloir voir ce que ça donne dans un an, en janvier prochain. Mais j’aimerais bien jouer au foot, oui.

Pour être drafté, il faut avoir des bonnes stats individuelles ou d’équipe ?
Le plus important, c’est l’équipe. Tu ne pourrais jamais sortir individuellement si tu n’as pas une bonne équipe derrière toi. Il faut être bien entouré. Après, il faut aussi avoir des bonnes stats individuelles. Dans le draft de cette année, il n’y avait pas beaucoup de joueurs qui n’étaient pas dans les équipes du playoff.

Tu te vois où quand tu auras fini ton bachelor dans un an et demi ?
Je ne sais pas du tout et c’est ça qui est excitant ! Si j’ai une opportunité dans le foot, ce serait super. Si ce n’est pas pour le foot, aussi. Je me vois aussi retourner à Genève, j’adore Genève, mais peut-être plus tard dans la vie. Que ce soit pour jouer au foot ou pour travailler, je me vois n’importe où, franchement.

Un nouveau retour à Genève pendant un semestre est-il envisageable comme en 2013 ?
On termine la saison mi-mai et on reprend la préparation mi-août, donc on a trois mois de pause. Dès que je peux, je m’entraîne par-ci par-là pendant cette période, à Servette, à Terre Sainte… L’été prochain, je vais rester aux USA. J’ai fait un test la semaine dernière avec la réserve des New York Red Bulls. Le championnat des réserves c’est uniquement pendant l’été avec les mêmes équipes qu’en MLS. Cela s’est bien passé, j’ai signé pour l’été donc c’est vraiment super. C’est possible que ce soit le dernier été consacré au uniquement football, sans école, sans stage, donc je vais en profiter à fond.

On va te suivre alors, pour voir ce que ça donne !
On verra ! Le championnat s’appelle PDL (ndlr : Premier Development League) et il est réservé aux M23.

 

 

Timothy Schmoll, né le 22 février 1993 à Genève

Parcours :
1997-2006 : US Terre Sainte (Juniors)
2006-2011: Servette FC (M16, M18)
2009-2010, US Terre Sainte (2ème ligue inter)
Depuis 2011 : Harvard University (Ivy League)
2013 : Servette FC (M21)
2015 : New York Red Bulls (M23)

 

Photos : Penny Ashford

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