Lorenzo Falbo : « Les grands clubs suisses viennent de plus en plus recruter dans le football genevois »

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Avec près de 20 ans de carrière, l’agent chevronné revient sur les épisodes marquants de son parcours. Une vie à 100 à l’heure, passée au téléphone, et surtout au bord des terrains. Long entretien.

Les agents de joueurs sont vus comme une espèce de demi-dieu qui contrôlerait le marché mondial du ballon rond. On les imagine riches, avares, requins, prêts à tout pour quelques billets de plus, bien loin de se soucier des intérêts de leurs joueurs. Pourtant, la réalité du métier d’intermédiaire du football est bien différente des strass et des paillettes. Certains acteurs se battent pour légitimer cette profession. C’est le cas de Lorenzo Falbo, agent de joueurs depuis 2003. Depuis, il est devenu l’une des figures de proue de la profession en Suisse. À son actif, plus de 80 transferts réalisés tant en Suisse qu’à l’étranger. À la tête de son entreprise de conseil, il compte aujourd’hui des bureaux à Nyon et à Cali, en Colombie. Outre ses activités d’intermédiaire du football, Lorenzo Falbo donne régulièrement des conférences sur le métier d’agent ainsi que sur le fonctionnement du marché des transferts. Entretien.

Proxifoot : Vous êtes un des agents les plus importants du football suisse. Avec du recul, quel bilan tirez-vous de votre carrière ?
Lorenzo Falbo : Je dois dire que je suis assez fier de mon parcours. Lorsque j’ai commencé (en 2003), il n’y avait pas beaucoup d’agents sportifs dans le milieu du football. Les rares qui figuraient dans le circuit étaient bien souvent des anciens joueurs ou ex-dirigeants reconvertis. J’étais presque le canard boiteux au milieu de tous ces gens-là. Ce n’était vraiment pas évident au départ de s’imposer. Il a fallu énormément de travail, beaucoup d’heures à passer au bord des terrains. Aujourd’hui, je suis content d’être toujours en activité.

Justement, quel est le secret de votre longévité ?
Le fait d’avoir une éthique de travail et une ligne de conduite depuis mes débuts. C’est primordial dans ce genre d’activité. C’est ce qui construit votre réputation. Un joueur, lorsqu’il termine sa carrière avec vous, il devient alors votre premier ambassadeur. 
Je dirai ensuite qu’il faut garder tout au long de sa carrière la culture du football : aujourd’hui encore, je peux aller regarder un match de Meyrin aux Arbères le samedi, et ensuite partir à Barcelone voir le Barça jouer au Camp Nou. Comme toute passion, il faut la cultiver. Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient.

Pourtant, le métier d’agent de joueur est souvent entaché d’une mauvaise réputation, qui prône des méthodes flirtant parfois avec l’irrégularité. On vous qualifie de véreux, malhonnêtes, troubles… Que répondez-vous à vos détracteurs ?
Il y a des gens qui font très bien leur métier et d’autres non. C’est exactement comme chez les avocats, les assureurs, les journalistes… Il faut surtout démystifier cette idée reçue que l’agent de joueurs s’en met plein les poches. Il faut savoir qu’en moyenne, un agent prend entre 3 et 5% de commission sur la valeur d’un transfert. Et notre quotidien n’est pas celui des transferts de Neymar ou Mbappé. Lorsqu’on transfère un joueur pour un million de francs, cela nous revient finalement à 30’000 francs, pour une affaire qui aura duré plus d’un an. Il faut donc remettre les choses dans leur contexte.

Toutefois, vous avez été témoin des déboires du milieu. En 2014, vous vous faites piéger et kidnapper par la mafia ukrainienne. Est-ce que vous y repensez quelquefois ?
Bien sûr, c’est un épisode qui a marqué ma vie d’homme et ma carrière d’agent. Ce n’est pas commun de vivre un enlèvement, une séquestration et une évasion. A un moment donné, l’un des ravisseurs m’a braqué un pistolet sur la tempe. C’est quelque chose qui est encore très présent, mais qui m’a conforté dans l’idée de travailler avec une certaine éthique. Quand j’y repense, je me dis que ce métier m’a fait vivre le mieux et le pire du football.

Restons dans le mauvais.  Avez-vous connu d’autres épisodes de ce genre ?
Je me souviens d’un épisode en 2007-2008, au sud de la France. Lors d’une tentative d’intimidation, un de mes collaborateurs s’est fait casser les genoux, car il refusait de faire partir un de ses joueurs. Hélas, dans certains endroits, les menaces et les intimidations font partie de la profession. Pour ma part, j’évite de placer mes joueurs en Ukraine, en Bulgarie et de manière générale en Europe de l’Est. Vous n’êtes pas à l’abri d’un désagrément. Une fois, un joueur que j’avais placé dans un club à Chypre m’appelle en pleurs, car on lui avait changé les serrures de son appartement. Le club ne payait plus les salaires et il se retrouvait du jour au lendemain à la rue. C’est la partie triste du métier.

Et pour le côté plus gai, quelle est votre plus belle réussite ?
Je dirai lorsque le Colombien Johan Mojica a été appelé en sélection lors du Mondial 2018 en Russie. Cela sonnait comme un aboutissement. Tout agent rêve de voir un de ses poulains jouer en Coupe du Monde. Il faut savoir que je l’ai repéré dans son pays natal lorsqu’il avait 18 ans. Cela fait désormais onze ans que nous sommes ensemble. En septembre dernier, il était titulaire à l’Atalanta lors de la victoire 2-0 contre Liverpool à Anfield. Ceci étant, j’éprouve la même émotion quand un de nos jeunes joueurs fait ses débuts en Super League. Encore une fois, le football est une passion, peu importe le niveau.

Avec son joueur Mojica et le maillot qu’il a porté contre Liverpool

Vous mentionnez souvent l’attrait passionnel. Selon vous, est-ce la principale qualité qu’un agent doit avoir ? Et comment définiriez-vous votre métier ?
Pas seulement. J’aime mentionner les trois «P» : Passion, patience et persévérance. Ce sont les trois qualités principales pour exercer cette profession. D’une certaine manière, nous sommes des conseillers de vie. Nous avons en effet un impact sur la vie future d’un jeune joueur, sur sa famille. Il y a aussi la dimension de protection, surtout à l’ère des réseaux sociaux. Un jeune peut se faire « charmer » sur Instagram par de pseudos agents. Il faut alors être là et prendre le rôle de pare-feu.

Et l’art de négocier ?
Cela vient plus tard. Le rôle d’agent de joueurs, à proprement parler, arrive en effet lorsqu’on s’engage dans de vraies négociations.

De votre œil d’expert, quelle est la trajectoire parfaite pour un jeune joueur suisse ?
Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes suisses qui n’ont pas réussi ici vont tenter l’expérience dans des pays « exotiques », notamment en Europe de l’Est. Je parle ici de joueurs qui se situent entre le niveau de Challenge League et de Promotion League. On leur vend du rêve la plupart du temps. Mais il faut savoir que la majorité revient en Suisse, souvent avec des blessures psychologiques. Autrement dit, soit ils n’ont pas été payés pendant plusieurs mois, soit ils ont vécu des expériences un peu compliquées. Au final, ils atterrissent en ligue amateur, en 2ème ligue ou 2ème ligue interrégionale.

Que conseillez-vous alors ?
Je conseillerai à un jeune d’arriver au plus haut niveau en Suisse, et de performer dans cette catégorie. Il faut qu’il ait au moins un bagage de 60 à 80 matchs en Super League pour ensuite envisager de partir à l’étranger. Je peux citer l’exemple de Bastien Toma, qui est parti en Belgique, à Genk. Ou alors le cas de Kevin Mbabu, qui, après être parti très jeune à l’étranger, a eu l’intelligence de revenir en Suisse. Ce n’est qu’après trois saisons à Young Boys qu’il s’est transféré à Wolfsburg, en Allemagne.

Cependant, on reproche souvent aux entraîneurs de Super League de ne pas assez faire confiance aux jeunes joueurs…
Je vous retourne la question : combien de jeunes joueurs suisses ont réussi à l’étranger ? Les chiffres sont implacables. Entre 2002 et 2017, sur 78 internationaux suisses, seuls deux avaient été formés à l’étranger : Johan Djourou et Diego Benaglio. Il faut se rappeler que le football, c’est beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Même si vous êtes dans les centres de formation des meilleurs clubs. La réalité du terrain est celle-ci : sur une génération de M18, il y aura en moyenne trois joueurs du contingent qui vont devenir professionnels. Ce qui fait un peu plus de 10% de réussite. C’est ça la réalité.

Comment améliorer ce ratio ?
J’imagine qu’avec la crise sanitaire, les clubs vont être poussés à faire jouer davantage de jeunes. Il ne faut pas oublier qu’ils représentent aussi une source de revenus pour les clubs de Super League et de Challenge League.

Revenons à votre activité. Vous avez des joueurs placés dans les premières divisions, en France, en Espagne, en Italie, ailleurs. De combien de joueurs vous occupez-vous à ce jour ?
Une douzaine de professionnels et une quinzaine de joueurs en formation. Au sein de l’entreprise, nous sommes six personnes à gérer leurs carrières.

En période de mercato, combien de temps passez-vous au téléphone ?
La journée débute très tôt et se termine très tard. Cela peut arriver par exemple de répondre à un directeur sportif à 1h du matin.

Avez-vous des anecdotes de négociations à partager ?
Il y a quelques années, nous avions conclu le prêt d’un joueur in extremis, lors de l’avant-dernier jour de mercato. J’étais tranquillement assis à boire un café, lorsque je reçois un coup de fil d’un ami agent qui était en présence du directeur sportif du Genoa, club de Serie A en Italie. Il me demande si j’ai un arrière gauche parmi les joueurs que je gère. Je lui réponds que oui, lui donne son nom et l’informe qu’il joue à Valladolid (2e division en Espagne). Une heure plus tard, le club italien me rappelle en me disant qu’ils sont intéressés par le profil. Sauf que le joueur en question était à ce moment-là dans le bus de son équipe pour aller disputer un match. J’ai dû alors vite appeler le club espagnol pour qu’il le fasse descendre. Ce dernier est parti dans la foulée direction l’Italie.  En moins de 24h, nous avions bouclé l’affaire, à quelques minutes du terme du mercato.

De quels transferts êtes-vous le plus fier ?
Tout est relatif. Disons qu’il y a des transferts plus marquants que d’autres. J’ai en tête le passage de Marcos De Azevedo de La Chaux-de-Fonds au Servette FC en 2009. Il est certes devenu le joueur emblématique de la montée en Super League en 2011, mais ce que vous ne savez pas, c’est qu’en coulisses, ce jour-là, rien n’était joué d’avance. En effet, jusqu’au dernier moment on ne savait pas s’il allait rejoindre le Lausanne-Sport ou Servette. Au final, les dirigeants du club grenat ont remporté les enchères, avec un dénouement heureux pour le club.

Quels sont vos liens aujourd’hui avec le Servette FC ?
J’ai une relation forte avec les clubs romands, en particulier avec le SFC. Ces douze dernières années, j’ai continuellement eu des joueurs au club chaque saison. Aujourd’hui, je représente Steve Rouiller en première équipe, ainsi que des juniors en formation.

Lorenzo Falbo et Steve Rouiller

Les joueurs genevois ont-ils une bonne côte à l’étranger ?
Oui, il y a une qualité de formation à Genève. D’ailleurs, les grands clubs suisses viennent de plus en plus recruter dans le football genevois. C’est un signe que Genève devient une très bonne place. De plus, Servette travaille de mieux en mieux par rapport aux jeunes depuis quelques années. La preuve sur le terrain : la progression de Kastriot Imeri, pur produit grenat, mais aussi le fait que les M-18 et les M-16 sont en finale de Coupe. Ces derniers vont peut-être avoir tendance à partir de moins en moins tôt. D’un œil extérieur, le football genevois a de beaux jours devant lui. Et il n’y a pas que le SFC à Genève. De jeunes footballeurs amateurs peuvent devenir pro. Un jeune de 16-17 ans qui joue en 2ème ligue inter ou 1ère ligue, peut-être qu’il finira pro. Il n’y a pas de route toute tracée dans le football. À l’inverse, ce n’est pas parce qu’on est au centre de formation ou qu’on a eu quelques minutes avec la première équipe qu’on finira forcément pro. L’histoire nous enseigne qu’une carrière se compte en années, pas en minutes.

Cela vous arrive-t-il de venir superviser des matchs régionaux à Genève ?
Tout à fait, je me rends habituellement à Meyrin ou Carouge. Il m’arrive aussi d’aller voir des matchs de 2ème ligue interrégionale. En revanche, c’est beaucoup plus rare pour des rencontres de 2ème ou 3ème ligue.

 

Photos: Instagram @lorenzofalbo10

 

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