L’incroyable épopée turque d’Hakan Demirci

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Installé en Turquie depuis 2018, où il a connu neuf clubs et d’innombrables coups du sort, l’ancien joueur du SLO, aujourd’hui en quatrième division, cherche désormais un peu de stabilité dans son périple. Portrait.

« Mon histoire, c’est comme un film. Même moi j’ai l’impression de mentir parfois quand je la raconte ». Hakan Demirci préfère rire de ses galères. Depuis qu’il a quitté le Stade Lausanne en 2018, ce Vaudois de 25 ans vit une sacrée épopée en Turquie : neuf clubs en cinq ans et demi, soit presque deux clubs par saison. Entre malchance, blessures et promesses non tenues, retour sur une expérience invraisemblable qui ne cherche qu’à trouver un peu de stabilité.

L’irrégularité n’a pourtant pas marqué ses jeunes années. Né à Lausanne en 1999 d’un père turc et une mère marocaine, il ne connaîtra que le Lausanne-Sport, qu’il rejoint à quatre ans jusqu’en M15, avant d’aller au Stade Lausanne Ouchy, des juniors B inter jusqu’en première équipe, en Promotion League.

Des débuts prometteurs en Turquie

En 2018, l’appel de l’étranger le frappe. Il aurait déjà dû partir en 2017, quand il devait faire des tests à Besiktas, « mais mes parents voulaient que je termine le gymnase ». Une année plus tard, un agent turc qui avait un réseau en Suisse le contacte : « Il m’a dit qu’il cherchait des joueurs d’origine turque pour jouer au pays. Je me suis dit : “pourquoi pas” ! Il m’a proposé de la D2 et des M21, j’ai opté pour la réserve d’Alanyaspor ».

Son périple turc ne pouvait pas mieux commencer. Dans son premier club, Alanyaspor U21, l’équipe réserve de celle qui évolue en première division, il cartonne avec 20 buts et 7 passes décisives en 34 journées. On pense que son avenir dans l’ancien empire ottoman s’annonce radieux. Mais le football dans cette région est rempli de surprises. L’intéressé détaille : « A quelques semaines de la fin du championnat, Alanyaspor me propose un contrat professionnel, qui ne me plaisait pas trop. En plus, le nouveau coach me proposait seulement de me prendre en camp et qu’il déciderait à la fin du camp si j’étais envoyé en prêt ou pas. Vu que je sortais d’une bonne saison, je pensais que je n’avais pas besoin de prouver quelque chose au club. Mon agent m’a proposé deux clubs de deuxième division qui me voulaient, et je suis parti à Altay ». La suite va s’avérer plus compliquée.

Demirci a marqué 20 buts avec Alanyaspor.

« Come to Galatasaray »

Direction Izmir, ville de la côte ouest située sur la mer Egée. Mais dans le club d’Altay SK, le temps de jeu n’est pas au rendez-vous. « Il faut savoir qu’en Turquie, les jeunes ont très rarement du temps de jeu, explique celui qui avait 20 ans à l’époque. Surtout en première et deuxième division, qui sont les seules ligues qui peuvent avoir des joueurs étrangers ».

C’est durant sa première année dans football professionnel qu’il va se rendre compte de la passion folle des supporters turcs. A la fin du premier tour, son équipe part en camp de préparation et affronte Galatasaray en match amical. « J’ai joué 20 minutes et j’ai marqué, se rappelle-t-il. Le lendemain, on a joué contre une équipe hongroise et il y a plein de recruteurs qui sont venus me parler. Mon agent m’appelle à l’hôtel et me dit de ne signer avec personne, j’ai trouvé ça bizarre. Le lendemain, je reçois des notifications sans arrêt sur mon téléphone avec le même commentaire sous mes publications : “Come to Galatasaray, come to Galatasaray”. Il s’avère que des articles était parus dans lesquels des clubs comme Galatasaray, Trabzonspor et Yeni Matatiaspor me voulaient. Je n’étais au courant de rien ». Face à cet intérêt, Altay lui propose de rester en lui promettant de jouer tous les matchs, mais là encore, les promesses dans le football turc ne sont pas une science exacte. Demirci totalise huit petits bouts de match en D2 (aucune titularisation) et trois titularisations en coupe lors de la saison 2019-2020, bien en-dessous de ses attentes.

Lors du fameux match contre Galatasaray

Le début des galères

La saison suivante, voyant que la situation ne risque pas de s’arranger –« nous étions 40 à la préparation estivale, dont six ou sept à mon poste », son agent l’envoie en prêt à Kocaelispor, en troisième division. Direction le golfe d’Izmit, à 50 kilomètres de la mer Noire, où il espère jouer régulièrement à l’échelon inférieur. Mais là encore, les événements défavorables s’enchaînent, la pandémie n’aidant pas : « Le coach est parti après un match et le nouveau ne me voulait pas. En plus, j’ai attrapé deux fois le Covid pendant le premier tour! ».

Avec un bilan de cinq entrées et un but, il quitte Kocaelispor à la mi-saison pour rejoindre Kahramanmarasspor, l’équipe contre qui il avait marqué son seul but. « On m’a promis de jouer tous les matchs du deuxième tour ». Et, une fois n’est pas coutume, la promesse a été tenue : Hakan Demirci joue 17 matchs sur 18 en troisième division, dont 16 titularisations, avec un bilan de trois buts et trois passes décisives.

Un été 2021 mouvementé

Avec une confiance retrouvée au terme de la saison 2020-2021, le natif de Lausanne a des prétendants, dont Çorum FK, un candidat à la montée en deuxième division. « En Turquie, quand un club joue le titre, ça veut dire qu’il met beaucoup d’argent. Ils m’ont proposé un certain montant, j’ai dit à mon agent de demander le double, dans le vide, pour tenter, car je n’avais rien à perdre. Deux minutes après, on me rappelle et on me dit “pas de souci” ». Mais il n’y a pas que l’argent qui intéresse le jeune ailier : le club avec qui il est encore sous contrat, Altay, vient de monter en Super Lig (D1) et il veut s’accorder une chance dans l’élite.

Sauf que le club n’a appelé aucun des joueurs de retour de prêt et encore sous contrat. « Mon agent m’a dit qu’Altay reprenait les entraînements le lendemain. Beaucoup de joueurs avaient décidé de se présenter car ils étaient encore sous contrat, je m’y suis joint aussi. L’entraîneur nous a direct dit qu’il ne nous voulait pas parce qu’il ne nous connaît pas ». Demirci va encore plus loin : « On ne peut pas refuser un joueur sous contrat de se présenter à l’entraînement, c’est contre les règlements de la FIFA. Alors je porte plainte auprès de la fédération ». Le joueur est bloqué pendant la procédure puis est libéré de son contrat après un mois.

Dans la foulée, Denizlispor lui propose un contrat et du temps de jeu en deuxième division. On lui demande de venir le lendemain pour faire le contrôle médical et signer son contrat. Mais le football turc est une boîte à surprises : « Je sors du contrôle médical et je vois que le club a fait signer un nouveau coach. Le président me dit que c’est le coach qui a les clés des transferts, et ce dernier me dit d’entrée : “Toi, t’es pas dans mes plans”. Donc je suis parti ».

Après ces tentatives ratées à Çorum (qui tentera à nouveau de le recruter), Altay et Denizlispor, il finit tout de même par trouver un club à la fin de l’été 2021 : Sariyer SK, entraîné par Taşkın Güngör, qui venait de l’avoir sous ses ordres à Kahramanmarasspor. « Il m’a promis de jouer, et comme le club est à Istanbul, il y a toujours beaucoup de monde qui vient te voir ».

Expérience peu concluante à Altay

Un destin qui s’acharne

Nous sommes au début de la saison 2021-2022, Hakan Demirci est à Istanbul, la capitale du football turc. Il n’a pas de pépins physiques, vient de jouer régulièrement ces six derniers mois et jouit de la confiance de son entraîneur qui a demandé son recrutement à Sariyer. Enfin la possibilité d’exploser ? « Premier match de championnat, je rentre en jeu à la 60e minute et à la 80e je me fais les croisés, se lamente Demirci, qui ne rejouera plus de la saison. J’ai été out 11 mois, j’ai subi deux opérations. Le médecin qui avait 50 ans d’expérience m’a dit que c’est la première fois qu’il a dû faire une deuxième intervention ».

Avec le moral au plus bas, le Turco-Suisse se dit à l’été 2022 qu’il a fait le tour du pays. « Je me suis dit qu’en Turquie, cela ne marchera pas. Je voulais rentrer en Suisse pour me relancer en Promotion League par exemple, voire dans un autre pays ». Mais comme le téléphone ne reste jamais longtemps sans sonner, il finir par se faire convaincre par les dirigeants de Sivas Dört Eylül Belediyespor, en troisième division. Le voici dans la ville de Sivas, au centre du pays, loin de la mer. Hakan Demirci fait une bonne préparation estivale, marque et fait des passes décisives. Il joue les deux premiers matchs de championnat, puis c’est le coup d’arrêt : la Reserve League, soit le championnat M21, a été annulée pour se concentrer uniquement sur les M19. « Cela s’est traduit par la disponibilité de beaucoup de jeunes joueurs talentueux et pas chers. Mon agent m’appelle et me dit que le club a recruté plein de jeunes et ne me veut plus. Je n’ai rien compris, j’étais bien revenu de mes croisés et ça se passait bien dans ce club. Je suis allé voir le président, c’était assez tendu, et j’ai cassé mon contrat ».

Libre dès le mois de septembre 2022, Demirci rentre en Suisse et s’entraîne un peu avec le SLO pour garder la forme. Pour un retour définitif dans son pays natal ? Non, puisque le coach Taşkın Güngör, désormais en poste à Inegölspor, ne l’a pas oublié. « C’est un coach qui m’aime vraiment, c’est l’une des seules personnes en qui j’ai confiance dans le monde du football ». Au mercato hivernal, direction la province de Bursa, où les minutes devraient être au rendez-vous à Inegölspor avec un coach qui compte sur lui. « Pour le match de reprise, on perd 1-0 contre une équipe mal classée, et devinez ce qui s’est passé avec ma malchance ? Le coach s’est fait virer dans la foulée ». La suite de la chanson est connue, le nouveau coach ne le fait pas jouer, et lorsque l’occasion se présente, le destin s’acharne sur Demirci. « Une fois, le coach m’a dit que j’allais être titulaire parce qu’il y avait beaucoup de blessés. Et qu’est-ce qui se passe ? Je tombe malade, moi qui ne tombe jamais malade ! Il m’était impossible de jouer ». Le Vaudois finira la saison avec seulement cinq apparitions (aucune titularisation) et un but.

A l’été 2023, il change encore de club mais cette fois sans changer de ville. Il reste à Bursa et s’engage à Karacabey Belediye Spor (D3), avec qui cela ne se passe pas mieux. L’entraîneur à caractère défensif ne lui fait pas confiance et, après deux matchs sur le banc, il trouve un nouveau point de chute en quatrième division. « Le président a deux clubs dans la ville de Bursa, il m’a donné la possibilité de signer dans son autre club en septembre dernier ». Le voici donc à Bursa Yildirim Club, son équipe actuelle, avec qui il a connu ses frayeurs habituelles : « Trois jours après ma signature, je joue mon premier match et je fais une passe décisive dans les arrêts de jeu et on gagne 2-1, je me dis que la chance a enfin tourné. Je suis titulaire lors du deuxième match… et je me déchire les ischios après deux minutes ».

Demirci a retrouvé de la régularité à Bursa Yildirim

En quête de stabilité

Aujourd’hui, un Hakan Demirci persévérant semble enfin jouir de cette régularité qu’il a tant recherché. Après sa blessure aux ischios qui l’ont éloigné huit semaines, il joue sans interruption depuis novembre dernier. Plus de blessures, plus de fausses promesses, plus d’entraîneurs virés du jour au lendemain. « Je touche du bois ! », rit-il, plein d’espoir. Il joue régulièrement (deux buts et trois assists jusqu’à présent) et son équipe joue le haut de tableau. Les éléments sont-ils réunis pour s’installer quelque part ? « Je n’ai plus trop envie de bouger à droite à gauche. Maintenant que j’ai trouvé de la stabilité et que cela se passe bien, je me vois rester. La ville est bien, le club est cool, tout est bien pour l’instant ».

Mais il se pourrait que cette stabilité ne dure jamais très longtemps dans un pays passionné comme la Turquie. Cet été, la valse des promesses et des appels téléphoniques reprendra probablement. Il ne ferme pas la porte à un retour en Suisse, au minimum dans un « club de Challenge League. La Suisse a toujours été mon pays aussi. J’ai ma famille là-bas, j’ai fait mon éducation là-bas ». Un retour en Suisse serait également synonyme de moins de pression, lui qui vit depuis 2018 dans un pays qui vit le foot à 200%. Il détaille : « La plus grosse différence entre la Turquie et la Suisse, c’est la pression. En Turquie, on t’en met beaucoup plus. Déjà avec les supporters : tu réussis un dribble, t’es le roi. Et l’action d’après, tu rates devant le gardien et tout le monde t’insulte. Les clubs aussi te mettent de la pression. On veut des résultats tout de suite, alors qu’en Suisse on laisse le temps aux jeunes de progresser. Tout le monde vit le foot à fond ici, de la première à la quatrième division. C’est plus facile de jouer en Suisse ».

 

 
 
 
 
 
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S’il ne devait retenir qu’une leçon, Hakan Demirci répond sans hésiter : la patience. « Je suis quelqu’un qui n’a pas été patient pendant ma carrière. J’ai vite voulu précipiter les choses et cela a amené des mauvais choix. Il faut être patient et bien s’entourer. Il ne faut pas faire confiance à n’importe qui. On est dans un monde de requins : présidents, coachs, coéquipiers et surtout les agents ».

Avec du recul, le Lausannois ne veut pas s’acharner sur son sort et accepte son destin : « Je n’ai vraiment pas eu de chance, mais je pense que c’est le destin. Quand je signe dans un bon club où ça va bien se passer et je me fais les croisés au premier match, je pense que tout ça est écrit ». Et garde encore quelques rêves bien enfouis : « J’ai un rêve depuis tout petit, c’est de jouer à Arsenal ou Liverpool. C’est toujours dans ma tête. C’est une source de motivation après toutes les galères que j’ai connues ».

Alors qu’il n’a que 25 ans, il pourrait écrire un livre sur son parcours. Son histoire aurait sa place dans le livre « Galère Football Club » de Romain Molina, consacré aux mésaventures de l’autre football, loin des paillettes. « Quand on me dit que j’ai une belle vie parce que je suis footballeur professionnel, je réponds que ce n’est pas si facile que ça », temporise-t-il. Mais l’aventure n’est pas encore finie. D’autres épisodes suivront. En Turquie ? En Suisse ? Seul l’avenir nous le dira. « Je sais que le téléphone va sonner cet été », rigole-t-il, résigné et prêt à écrire un nouveau chapitre.

Le périple turc d’Hakan Demirci

Photos: Hakan Demirci (Instagram)

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