Assistant de Daniel Villa au sein de la première équipe, Marc Fiorina fête cette année son 40ème anniversaire au FC Veyrier Sports. Nous avons voulu en savoir plus sur son amour pour le vert et jaune… mais aussi pour les Reds de Liverpool. Entretien avec un homme de l’ombre qui méritait un peu de lumière.
Ce n’est pas tous les jours que l’on fête 40 ans au sein d’un seul et unique club. Surtout à une époque où les joueurs –professionnels ou amateurs– changent d’air pour un oui ou pour un non. Marc Fiorina ne fait pas partie de ceux-là. Joueur (junior, actif et senior) et assistant bénévole au sein de la première équipe, il a rempli et continuera à remplir tous ces rôles avec la même passion.
Pas de véritable formation
Tout a commencé en 1974. Agé de 8 ans –il est né en 1966– Marc Fiorina intègre le club du pied du Salève quelques mois après avoir déménagé à Veyrier. A cette époque, le club veyrite n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. « Cela n’avait rien à voir, confirme le Veyrite. Bien qu’ambitieuse, la première équipe était figée en 3ème ligue depuis bien des années, et en juniors, il y avait moins d’équipes par classe d’âge, avec des participations rares en premier degré et inexistantes à l’échelon interrégional. Comme des générations de gamins de Veyrier (“Les Brésiliens à Babel”) avant moi, mes premiers pas footballistiques ont été guidés par Maurice Babel, une véritable légende du club. Mais par la suite, je n’ai pas vraiment suivi de formation, il a fallu par moments se former tout seul, souvent à l’instinct, avant que des entraîneurs en actifs, comme Patrick Duval puis Pierre-Alain Mabillard, aient un impact décisif dans mon développement et ma compréhension du jeu ».
Déjà à cette période, Marc Fiorina fait preuve de fidélité envers ce qui sera son club de toujours : « En juniors C, Chênois souhaitait curieusement me recruter pour son équipe de C inter, mais j’ai préféré rester. Ce n’était pas terrible au niveau de l’ambition, mais c’était sympa, même si je n’ai jamais joué au premier degré régional ! Mais avec du recul, j’ai parfois un peu de regrets de ne pas avoir saisi cette chance d’évoluer à un meilleur niveau ».
Le Veyrite d’adoption a toujours été capitaine en juniors. D’où venait ce leadership sur le terrain ? « Ce n’était pas forcément grâce à mes qualités, mais surtout car j’étais toujours là, j’allais toujours aux entraînements et j’étais le plus passionné ».
Une arrivée hasardeuse en première équipe
Après un parcours en juniors éloigné de l’élite cantonale, le parcours de Fiorina en actifs prend une autre dimension. Nous sommes en juin 1983, Marc n’est âgé que de 17 ans et vient de terminer sa dernière année en juniors B. « La première équipe participait à un tournoi de fin de saison à Perly, raconte-t-il. La plupart des équipes y allaient avec des équipes bidouillées. Vu que Veyrier était en manque d’effectifs, ils ont dit à un junior A : « démerde-toi et viens avec deux copains ». Et j’en faisais partie ». Lors de ce tournoi, Fiorina est positionné en stoppeur, alors qu’il a toujours joué demi-défensif. « Et là, j’ai sorti mon tournoi. Nous sommes arrivés en finale contre Perly sans prendre beaucoup de goals et les gars de la première équipe, pensant que je pourrais peut-être faire l’affaire, ont demandé à m’intégrer dans l’équipe. L’aventure avait débuté ! ».
Lors de sa première saison avec la première équipe, il a fallu un changement d’entraîneur à la trêve hivernale pour que le jeune Fiorina ait sa chance, finalement donnée par le nouvel entraîneur, Dani Techtermann. En 3ème ligue, Veyrier était à 5 points de la tête et jouait le premier match du second tour sur le terrain de Compesières, leader du championnat. Un derby, donc : « Ce match, je le joue en 6, poursuit-il. Je m’en rappellerai toute ma vie. Je pense que c’est le match le plus marquant de ma carrière. Première titularisation avec la première équipe, qui plus est contre Compesières qui était en tête, avec des joueurs d’expérience et très durs. Ça volait dans tous les sens, je me suis fait insulter pendant une heure et demie… et on a gagné 1-0 ! »
Au terme de ce printemps 1984, trois équipes terminent à égalité en tête, dont Veyrier, qui perdra contre Champel aux penaltys le match qui déciderait du promu en 2ème ligue. « Mais à la surprise générale, Vernier remporte la finale de promotion de 2ème en 1ère ligue, ce qui voulait dire que nous étions aussi promus en 2ème ligue ». Fiorina est donc entré par la grande porte en première équipe. En effet, au terme de sa première saison avec les actifs, il prend part à la seconde promotion en 2ème ligue de l’histoire du club veyrite.
Le football au centre de la vie
En tout, Marc Fiorina aura passé presque 20 ans au sein de la première équipe veyrite, avec à la clé deux promotions en 2ème ligue : 1984 (relégation en 1988) puis 1993 (relégation en 1995). Il héritera logiquement du brassard de capitaine, détenu d’abord par Jean-Marie Martin –père de Jonas, actuel joueur de la Une– puis par Serge Zanicoli, actuel président du club. Même si aucune coupe ne sera soulevée, cela restera pour lui une période inoubliable : « Nous n’avons pas gagné de titre, c’est pour ça que les souvenirs marquants de l’époque sont surtout humains. Des émotions plus physiques que techniques pimentées par le puissant sentiment d’appartenir à un clan ».
Défenseur élégant mais impitoyable, Fiorina retient de ces années quelques noms d’attaquants adverses qui l’auront marqué : « Perraud à UGS ou Pippo Rossi à Bernex qui m’avait dit « t’es de loin le meilleur stoppeur que j’ai joué cette saison », alors qu’il avait marqué deux buts contre nous ! ». Marc s’est forgé une réputation de défenseur dur avec un goût marqué pour les duels. Dur, mais non violent, les chiffres le défendent : « Je n’ai jamais été expulsé de ma vie. J’ai pris beaucoup de jaunes, mais toujours pour des fautes dans le jeu, jamais pour insulte ».
Cet engouement pour le duel noble et loyal ne vient pas de nulle part. Italien aux racines britanniques, il place sa famille et le football au centre de la vie : « Je n’ai jamais mis de différence entre le football et la vie, jamais. Il n’y a pas de frontières, le football c’est la vie. C’est le dernier endroit dans notre société moderne où il reste de la vie, le dernier espace de liberté où notre âme “sauvage” peut encore s’exprimer. Mais le football a aussi ses règles et à partir du moment où tu ne les respectes pas, tu es foutu, ton engagement n’a plus de sens ».
Plaçant l’aspect humain au-dessus de tout, il a toujours eu une vision un peu en avance sur son temps. Le passionné poursuit : « Au football, il n’y a pas de hiérarchie, il y a des responsabilités et c’est un poids à porter collectivement. Cette idée de jouer avec un libéro décroché à un stoppeur, je détestais ça ! Aujourd’hui, cela semble logique d’un point de vue tactique mais pour moi, c’était d’un point de vue humain. C’est pas toi, c’est pas moi, c’est nous. Il y a des trésors cachés dans le football, des liens invisibles mais surpuissants qui unissent les individus. Pour moi, les perles se cachent dans les rouages défensifs, dans la couverture du copain, l’esprit de sacrifice du stoppeur pour protéger son gardien ou l’acharnement du 6 pour permettre à son 10 de briller. Dans le respect qui cimente l’édifice ».
De joueur à assistant
C’est en 2002 que Fiorina tire sa révérence en tant que joueur en actifs, après presque 20 ans en première équipe veyrite, « même si les dernières années ont été du remplissage, mon genou avait déjà lâché avant ».
Mais il ne quittera pas la famille veyrite pour autant puisqu’il devient naturellement assistant d’Alain Casalino en 2002, entraîneur de l’époque. Fiorina détaille son arrivée à ce poste : « La transition s’est faite toute seule. Mes genoux ne me permettaient plus de jouer alors il ne me restait plus que mon attitude pour être avec le groupe en tant qu’assistant. J’avais participé en tant que joueur à l’historique et catastrophique relégation en 4ème ligue en 2002. Je suis ensuite devenu coach afin d’aider à remettre l’équipe sur les rails après l’avoir fait dérailler ! »
S’en suivent 12 années maintenant en tant qu’assistant de la première équipe, cinq sous Alain Casalino et sept sous l’ère Daniel Villa, durant laquelle son rôle a pris de l’importance non seulement humainement mais aussi sportivement. « C’est un rôle que j’aime beaucoup, qui correspond tout à fait à ma façon d’être, à ma philosophie, résume-t-il. Sans trop me mouiller ni m’exposer, j’aime bien être dans l’ombre et je crois que j’ai autant de plaisir à rendre que j’en ai eu à recevoir ».
Marc Fiorina a vécu à la première personne l’entrée de Veyrier dans une nouvelle dimension. Au niveau urbain d’abord, le village a franchi la barre des 10’000 habitants et est officiellement devenu une « ville », même si l’esprit villageois ne disparaîtra jamais. Mais surtout, au niveau sportif, le club de football est entré dans une ère victorieuse sous la houlette de Daniel Villa : promotion en 2ème ligue à l’occasion du centenaire du club en 2008, nouvelle promotion en 2012, vainqueur de la coupe genevoise en 2013, réception des Young Boys en coupe suisse, et enfin un titre historique de champion de 2ème ligue en 2014.
Quand on lui demande quelle est sa plus grande fierté, Fiorina est hésitant : « Aujourd’hui et demain, le bonheur de voir mon fils Yassine reprendre le flambeau familial avec bien plus de qualités que son père ! Mais au niveau du club, évidemment le match contre Young Boys, cela reste quand même un souvenir extraordinaire. Jamais je n’aurais cru que je vivrais un truc pareil. Le stade n’a jamais été aussi beau, il devait y avoir dans les 3000 personnes. Jouer ce match-là avec cette équipe-là, c’est le sommet. Mais je citerais un autre souvenir qui m’a rendu hyper fier : la défaite en finale de la coupe genevoise contre CS Italien à Perly en 2012. Nous avons fait une première mi-temps extraordinaire contre une très belle équipe. C’était peut-être l’une des plus belles finales de la coupe genevoise de ces dernières années. Ce jour-là, nous avons accepté la défaite, les joueurs, le public, le staff, c’était dur mais on a encaissé. Au football, il faut savoir gagner mais aussi perdre, et ce jour-là nous avons su perdre. Et nous en sommes sortis grandis puisque quelques jours plus tard nous remportons le barrage contre Champel puis nous faisons une super saison en 2ème ligue l’année d’après ».
En dehors de l’aspect sportif, Fiorina souligne la pérennité de l’esprit veyrite, dont les jeunes du village reprennent le flambeau : « Aujourd’hui, les jeunes de Veyrier reprennent l’organisation d’activités comme le Tournoi de l’Amitié, le Mini-Mondial, les matchs au Hangar… Je sais que le club sera toujours le même dans 20 ans, et ce sera grâce à ces gamins-là et à ceux qui suivront. Je suis aussi très fier lorsque des joueurs de l’extérieur s’identifient rapidement au club. Les valeurs et l’identité qu’il y a à Veyrier, cela te touche ».
Liverpool, son autre passion
Bien que le football représente beaucoup pour Fiorina, cela ne se résume pas uniquement à Veyrier. Ceux qui le connaissent peuvent en témoigner : il est rare de ne pas le voir porter un vêtement aux couleurs de Liverpool. De père italien et de mère anglaise, c’est la culture britannique qui a totalement pris le dessus dans son identité. « Quand j’étais gamin, pour moi mon origine c’était l’Angleterre, le foot anglais. Dès qu’on pouvait, on regardait une finale de Cup commentée par Tillmann ou une équipe anglaise en Coupe d’Europe à la télé ».
C’est en 1977 qu’il tombe amoureux de Liverpool : « A l’époque, en 1976, notre club c’était un peu Saint-Etienne parce que c’était à côté donc on s’identifiait aux Verts avec cette finale aux poteaux carrés perdue contre le Bayern. Puis, l’année d’après, Saint-Etienne joue Liverpool en quarts de finale et ça passe à la télé. Moi, je les connaissais très peu, Liverpool. Au match aller, 1-0 pour Saint-Etienne. Puis le match à Anfield, c’était une folie. Depuis ce jour-là, pour moi c’était que Liverpool ».
Liverpool et Veyrier partagent selon lui quelques valeurs communes. Si Veyrier est plus compréhensible étant donné qu’il y a grandi, pourquoi ce coup de foudre pour Liverpool ? « Ce que j’aime le plus à Liverpool, c’est que cela dépasse complètement le cadre du sport. Ce sont des valeurs, des manières de perdre, des manières de gagner, pour eux la fin ne justifie pas les moyens. Les gens sont humbles et ont beaucoup d’humour : plus ils sont dans la merde, plus ils sont soudés et se fendent la poire. Quand ils n’ont rien d’autre, ils ont eux, leur âme et leur solidarité, et ça rien ne pourra le leur enlever, c’est la plus belle des richesses. Le ‘You’ll Never Walk Alone’ est bien plus qu’une magnifique chanson ».
Le coeur de Marc a-t-il une place pour Liverpool et Veyrier ? « Oui, et même une petite pour Servette. A l’époque, le pompiste de Veyrier prenait les gamins du village et nous amenait aux Charmilles, c’était des années extraordinaires. Je garderai toujours un faible pour Servette. Autrement, c’est Veyrier et Liverpool. Le reste, je m’en fous, même la Coupe du Monde, je ne suis pas nationaliste. Alors s’il y a des joueurs de Liverpool, j’espère qu’ils ne se blessent pas et qu’ils prennent du plaisir, mais autrement je ne suis pas malade pour l’Angleterre. Ce n’est pas ma famille, alors que Veyrier et Liverpool, oui ».
Un bénévolat volontaire
Fiorina continuera l’aventure veyrite l’année prochaine. Cette fois, place à la 2ème ligue inter, une première pour le club. « Je suis super fier qu’on puisse aller se confronter à des équipes en dehors de Genève, découvrir d’autres mentalités… Je me réjouis qu’on affronte des Vaudois et des Valaisans. Des voyages et des rencontres, on va adorer ça, à Veyrier ».
Quand on lui demande quelle a été sa part de responsabilité sur les excellents résultats du club du pied du Salève ces dernières années, Fiorina reste humble : « Proche de zéro ». Il sous-estime certes sa transmission de certaines valeurs et de l’histoire veyrite lors de son traditionnel discours d’avant-match, mais également son rôle de lien entre les joueurs et l’entraîneur, entre les joueurs et les supporters. Fiorina poursuit : « C’est rare que les « porteurs de gourdes » soient des anciens joueurs du club. Généralement, les anciens capitaines qui arrêtent de jouer deviennent entraîneurs, directeurs techniques… Donc je pense que mon choix a eu un impact au sein du club. Après, dans mon rôle d’assistant, si mon speech de trois minutes dans les vestiaires a une influence sur les joueurs, alors tant mieux ».
Un rôle dans l’ombre que Marc assume totalement, lui qui n’a jamais voulu devenir entraîneur : « Non, je ne sais pas pourquoi. Je préfère rester moi-même dans ce rôle, sans devoir passer des diplômes, et ainsi discuter librement et avoir mon point de vue ». Dans le football vrai que défend Fiorina, il n’y a pas d’argent, raison pour laquelle il reverse ses émoluments d’assistant dans la caisse de la première équipe. « Pour moi, explique-t-il, il y a tellement de relation avec l’argent partout, que j’ai pas envie de toucher de l’argent au foot ».
Si le club connaît ses plus gros succès aujourd’hui, Marc Fiorina conclut en gardant la tête sur les épaules et sans oublier l’avenir : « Dans la vie, quand tu as du succès, il faut garder les pieds sur terre. Aujourd’hui, il y a énormément de bonheur et de succès au Veyrier Sports, mais derrière il y a beaucoup de travail qui a été effectué notamment par le père Baumgartner pendant toutes ces années au niveau de la formation (ndlr: Eric Baumgartner, ancien entraîneur des juniors et père de Christian, joueur de la première équipe). La qualité de la formation a quelque peu baissé depuis son départ et je trouve ça un peu malheureux. J’ai peur qu’à terme on ait énormément de peine à alimenter notre première équipe avec des gamins formés au club. A mon époque j’étais quasiment le seul, aujourd’hui, on en a plus que jamais des joueurs qui ont fait tous leurs juniors au Veyrier, et c’est aussi rare que formidablement important pour notre communauté ».
Le “RedCoach” veyrite ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Rendez-vous dans 40 ans pour un nouveau bilan ?