Marc Duvillard : “Le plus dur est de trouver le réel talent”

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En octobre dernier, Proxifoot est allé à la rencontre de l’entraîneur genevois qui s’occupe depuis plus de 10 ans de l’AYSA (Aces Youth Soccer Academy), académie qui essaie d’inculquer le football mais pas seulement, à de jeunes joueurs talentueux de la région d’Harare, capitale du Zimbabwe.
Le rendez-vous est pris dans un café de la cité meyrinoise, berceau de l’enfance de Marc Duvillard. Celui qui a grandi footballistiquement parlant du côté du FC Meyrin avant de connaître notamment plusieurs clubs reconnus en Suisse romande. Rencontre avec un personnage passionné et passionnant.

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Bonjour Marc, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Proxifoot ?
Bonjour, je m’appelle Marc Duvillard. J’ai fait mes juniors à Meyrin, puis j’ai joué par la suite à Carouge en juniors A. Puis, comme mon papa avait obtenu ma lettre de sortie, ce qui faisait que j’étais joueur libre (le seul en Suisse), les dirigeants me faisaient jouer… remplaçant avec la réserve de Ligue B. Un jour, j’ai balancé mes chaussures à la poubelle du vestiaire et je suis parti en Allemagne. Ensuite, je suis revenu pour jouer au CS Chênois en gardant ma lettre de sortie… Lettre que j’ai conservée tout au long de ma carrière en Ligue nationale B, avec une montée à la clé. J’y ai joué 2 ans en Ligue A avant de partir pour Lausanne. Après 2 ans à Lausanne, je suis revenu à Chênois, puis Xamax et enfin la Chaux-de-Fonds où, après avoir joué, je suis devenu entraîneur de la 1ère équipe alors en ligue A. Je n’avais jusque-là aucune expérience d’entraîneur. J’ai ensuite entraîné un peu plus de 6 ans à Lugano, 3 ans en Ligue B et 3 ans en Ligue A, une année à Lausanne et je suis finalement parti au Zimbabwe..

Et le Zimbabwe donc ?
Après un certain concours de circonstances, je suis arrivé au Zimbabwe et j’ai d’abord entraîné l’équipe des Black Aces en 1995. J’ai également été sélectionneur de l’équipe du Zimbabwe à plusieurs reprises entre 1995 et 2000. Puis, j’ai monté mon Académie en 2001 : « Aces Youth Soccer Academy » (AYSA) a vu le jour. Grâce au soutien de la fondation d’un ami de mon père, de celui d’une association au Tessin nommée les amis de l’AYSA avec un ami, AYSA Meyrin et de la Ville de Meyrin, j’ai enfin pu lancer ce projet qui me tenait à cœur. 

Parlez-nous un peu de cette académie.
Notre académie accueille 20 joueurs à plein temps qui jouent dans l’équipe première. Celle-ci évolue en deuxième division du pays, sorte de Challenge League locale. Les joueurs de cette équipe sont âgés de 17 à 19 ans. A cela s’ajoutent des joueurs plus jeunes, une équipe juniors féminines et une équipe de filles adultes. Le tout représente 68 joueurs présents au sein de l’Académie. L’un des joueurs de la première équipe est sourd-muet et fait partie intégrante de la structure.

L’équipe des filles en action

Y a-t-il une sélection à l’entrée ?
Oui, nous organisons des entraînements pour les enfants de 10 ans et plus afin de commencer les premières sélections. Mais comme nous sommes limités en termes de place, nous ne prenons pas d’enfants en dehors d’Harare. Il y a beaucoup de joueurs qui sont bons très jeunes. Le plus dur est de trouver le réel talent, ça c’est vraiment le plus difficile.

N’y apprend-on que le football ?
Pas du tout. Il est impossible de dissocier le sport et l’éducation. C’est pourquoi nous aidons les joueurs au-delà du football. Certains passent des diplômes dans certains domaines pour ne pas se retrouver sans rien. D’autres continuent leur scolarité. Cette année, un joueur a réussi les examens finaux de l’école obligatoire et deux sont en rattrapage, ce qui représente une très bonne année. Des cours d’anglais leur sont également dispensés pour qu’ils puissent s’exprimer si, dans le meilleur des cas, certains d’entre eux parviennent à percer dans le monde du football. Il leur faudra alors bien savoir parler l’anglais alors que la plupart ne maîtrisent que le « Shona » ou le « Ndbele », dialectes locaux. Le professeur d’anglais est également professeur de théâtre, ce qui plaît aux pensionnaires car ce n’est pas trop scolaire. Nous proposons également des cours d’informatique (et des cours) sur des ordinateurs que nous avons reçu de notre association au Tessin. Un jeune est parti étudier l’informatique à l’université en Malaysie grâce au soutien d’une fondation. Deux autres jeunes ont terminé des études en informatique au Zimbabwe, deux filles ont fini des études en comptabilité.

Pouvez-vous me citer un joueur de votre académie qui est devenu professionnel ?
Bien sûr, je peux vous donner le nom de Knowledge Musona, qui joue désormais au FC Augsbourg en première division Allemande. Il a évolué au sein de l’Académie puis au Kazer Chief en Afrique du Sud. Là-bas il a terminé meilleur buteur et joueur. Il a également régulièrement joué avec l’équipe nationale du Zimbabwe où il a inscrit 8 buts en 6 matches seulement. Après les Kazer Chief, il est allé jouer à Hoffenheim avant de signer cette saison à Augsbourg. Mais il n’est pas le seul de notre académie à avoir connu le monde professionnel, 3 d’entre eux sont partis jouer en Afrique du Sud : Khama Billiat, Lincoln Zvasyia, Abbas Amidu.

Pouvez-vous avoir un contrôle sur l’évolution de la carrière des joueurs issus de votre formation ?
Vous savez, le monde du football est un monde compliqué dans lequel beaucoup d’acteurs interviennent. Nous essayons de mettre en place des plans de carrière pour nos joueurs pour les aider à faire les bons choix et leur permettre une progression adaptée. Mais souvent, des agents interviennent et proposent des contrats aux joueurs et cela va parfois à l’encontre de leur progression comme le but est de faire signer le joueur et de toucher de l’argent par ce biais..

N’avez-vous aucun moyen de vous protéger et de protéger les joueurs de ce genre d’acteurs ?
Non pas vraiment. Les joueurs, tant qu’ils sont chez nous, sont sous contrat. S’ils partent dans un autre club au Zimbabwe, ils ne sont que prêtés et le club ne peut pas empêcher notre joueur de partir dans un club étranger qui nous propose une offre qui nous convient. Mais une fois qu’ils partent, nous n’avons plus de contrôle sur eux. Ils peuvent signer où ils veulent et s’entourer des gens qu’ils souhaitent. Cela va à l’encontre de notre déontologie et de notre philosophie. Mais nous ne pouvons pas y faire grand chose, c’est le monde du football qui est ainsi..

Est-ce l’Académie touche quelque chose lorsque l’un de vos joueurs devient professionnel ?
Oui, il existe des « Solidarity Fees » mis en place par la FIFA qui permettent au club formateur de toucher un pourcentage sur tous les transferts du joueur jusqu’à ce qu’il ait 25 ans. Avec Musona, on aurait dû toucher 30’000 euros mais on est en train de lutter avec les deux clubs pour obtenir la totalité. Lorsqu’un jeune quitte l’AYSA pour l’étranger, nous avons dans le contrat une clause qui devrait nous permettre de toucher le 30% du prochain transfert. Dans le cas de Musona, on aurait dû toucher 30% de 1.5 millions d’euros mais Kaiser Chief nous a déduit des frais : 15’000 euros qu’aurait touché un agent ! Ils ont également déduit l’argent que nous avons reçu du transfert AYSA-Kaiser Chief (2x 30’000 USD) ainsi que les billets d’avion des dirigeants et du joueur lors de la négociation en Allemagne. Or, ce n’est pas si simple, pour l’instant nous sommes plus proches d’avoir touché 15% et nous devons nous battre pour tenter de toucher la totalité, nous travaillons avec un avocat pour faire valoir nos intérêts dans ce dossier.

Marc Duvillard, entouré de Billiat et Musona

Quelles sont les forces en présence dans le football professionnel de la région?
L’Afrique du Sud est le pôle d’excellence en termes de football professionnel. La ligue de football professionnelle possède désormais beaucoup de moyens grâce aux droits TV et aux sponsors. C’est pourquoi la plupart des footballeurs de la région espèrent jouer en Afrique du Sud car c’est une étape indispensable et lucrative pour eux avant, éventuellement, de rejoindre l’Europe. Les conditions d’entraînement sont similaires à ce qui peut se faire dans certains clubs européens. Le championnat du Zimbabwe est largement inférieur au championnat sud-africain. Bien que notre niveau ait bien progressé ces dernières années, nous sommes encore loin du niveau footballistique et surtout financier de nos voisins..

Revenons à l’académie, quel encadrement comprend une telle structure ?
Nous pouvons compter sur la présence de 5 entraîneurs à plein temps qui s’occupent du football, dont deux anciens pensionnaires et une ancienne pensionnaire, encore en étude. Les deux plus anciens entraîneurs ont passé le diplôme CAF (équivalent UEFA). Le but est de former des joueurs mais également des entraîneurs qui peuvent par la suite partir entraîner ailleurs. Il y a également un physiothérapeute à mi-temps et nous pouvons faire appel à un médecin en cas de besoin. Nous veillons à ce que tout se passe bien pour les joueurs au niveau footballistique, médical et alimentaire. Nous servons plus de 75 repas par jour à midi..

Et quels sont les objectifs de l’AYSA à moyen terme ?
Aujourd’hui, nous accueillons les joueurs et leur permettons une structure où ils peuvent se concentrer sur le football. Les 20 joueurs de la première équipe sont nourris, logés sur place et reçoivent un peu d’argent de poche. Notre objectif est évidemment de former les meilleurs joueurs de la région d’Harare pour espérer que certains d’entre eux parviennent à percer dans le monde du football, à l’étranger mais également au Zimbabwe. Nous souhaitons également aider à l’amélioration du football zimbabweien qui voit ses meilleurs joueurs partir systématiquement à l’étranger, faute de moyens et de qualité sur place, bien que le championnat ce soit déjà nettement développé depuis que je suis arrivé ici.

Et d’un point de vue structurel, qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
Nous avons acheté 23 hectares de terrain en 2008. Nous avons défriché 3 hectares dans le but d’y construire 2 terrains en herbe qui sont en train d’être finis. Nous aimerions désormais installer de nouveaux vestiaires sur cet espace.

Entraînement des M-13

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Quel budget représente une académie comme la vôtre ?

Le budget de l’Académie est de 250’000 dollars. Il n’est pas encore bouclé pour la saison prochaine. Nous sommes également à la recherche de fonds pour construire des vestiaires, ceux-ci coûteraient 130’000 dollars. De plus, nous avons pour but de venir avec les M-18 ans au mois d’avril pour participer à un tournoi international à Bellinzone lors des vacances de Pâques afin de faire découvrir l’Europe à nos joueurs et de faire découvrir nos joueurs aux gens présents lors de ce tournoi. Le déplacement coûte plus de 35’000.- et nous cherchons donc des partenaires et sponsors prêts à nous soutenir dans cette démarche.

N’avez-vous pas cherché à collaborer avec des clubs de la région pour tenter d’introduire vos joueurs en Europe plus facilement ?
Bien entendu, j’ai demandé à Christian Constantin s’il voulait faire un partenariat avec nous. Il a été franc et sincère en me disant que cela ne l’intéressait pas. Je préfère quelqu’un qui dit tout de suite non qu’un autre qui vous fait croire que quelque chose est possible alors que ce n’est pas le cas. Mais il m’a dit que si nous avons un bon joueur, nous pouvions lui envoyer pour un essai. A l’époque, il y avait un contrat de collaboration entre les Black Aces et le Servette FC de M. Weiler. Mais il est tombé malade et c’est Canal Plus qui a repris et a tout liquidé. Nous avons essayé de nous battre pour faire valoir nos droits sans succès. Je reviens également d’une semaine passée à Paris avec un ami qui travaille dans le staff de Carlo Ancelotti et à qui j’ai demandé de venir, s’il le peut, venir donner des entraînements dans notre Académie. Pour nous, il serait formidable d’avoir un partenariat avec un club de la région pour envoyer nos joueurs afin qu’ils puissent s’aguerrir au contact du football européen. Ceci éviterait les intermédiaires et nous permettrait d’être sûrs que nos joueurs soient bien encadrés et qu’il y ait une continuité..

Finalement, les gens peuvent-ils vous soutenir et vous aider ?
Bien sûr ! Toutes les personnes intéressées n’auront qu’à nous écrire à l’adresse suivante : duna@icon.co.zw. Nous nous ferons une joie de leur répondre et de trouver une manière de collaborer.

Les M-18 de l’Association

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L’entretien, riche, se termine par un retour en voiture pour ramener le plus Zimbabwéen des Genevois au centre ville. Au détour de virages et de passages piétons, l’homme me parle d’ « Arsène » (Wenger, bien entendu) comme d’un ami, de ses nombreuses expériences avec plaisir, simplicité et ce brin de complicité qui le caractérise.

Nous nous quittons à la Place du Molard sur un « Merci, et tu sais tu peux me tutoyer ! ». Promis, la prochaine interview se fera à la deuxième personne du singulier…

 

 

 

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